jeudi 4 juillet 2019

Antipopulisme et écologisme sont les deux pôles du catastrophisme contemporain

Texte de Pierre-André Taguieff (ci-contre) publié dans le Figaro du 4 juillet 2019. L’apocalyptisme est à la mode, remarque l’historien des idées* et le grand récit de l’effondrement est désormais au cœur des discours politiques. Il invite à sortir du manichéisme qui fait de l’écologie le « parti du Bien » et du populisme le « parti du Mal ».

Ce qui caractérise le moment présent, c’est le goût du catastrophisme. L’alarmisme est à la mode et l’apocalyptisme se répand à grande vitesse dans les opinions militantes. Dans le champ politique délesté de son axe gauche-droite et de ses repères rassurants, deux partis informels de la peur se partagent la gestion et l’exploitation des passions dominantes : l’antipopulisme et l’écologisme. Le catastrophisme antipopuliste est contemporain de l’alarmisme climatique, qui vire à l’apocalyptisme. Si, dans le discours élitaire, le populisme est le nom du nouveau « parti du Mal » qui a remplacé à la fois le fascisme et le communisme, non sans permettre de minorer la réelle menace islamiste, l’écologisme est le nom du nouveau « parti du Bien », qui fait des ravages chez les jeunes et pleurer les « bobos » frappés de visions de « fin du monde ».

En termes plus nuancés : au nouveau « parti du Pire » aux contours flous — « les populistes » — s’oppose désormais le « parti du Meilleur », un parti sans frontières, le parti du « vivant » et de la « diversité », nouveaux noms du sacré. L’ennemi absolu a donc deux visages : celui du « populiste » destructeur sournois de la démocratie et celui du pollueur criminel de la planète, qui tend, chez les intégristes écolo-animalistes, à se confondre avec l’espèce humaine tout entière, intrinsèquement criminalisée. Contre le diable « populiste » se dresse la grande déesse « verte » : le premier fait l’unanimité contre lui, la seconde semble séduire tout le monde. Les conversions à la gnose écologiste se multiplient, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par le centre, traditionnellement opportuniste. Comment résister à ce nouveau « savoir qui sauve » ? Il y a certes des exceptions à la règle, disons des hérétiques : des « populistes » assumés de droite ou de gauche, fiers de l’être, et des « climato-sceptiques » déclarés, assurément téméraires ou provocateurs. Mais ils sont traités comme des suspects, des irresponsables ou des ignorants, des délinquants ou des méchants. Ils sont mis à l’écart et désignés comme les ennemis de l’environnement, des animaux (animaux humains compris) et des végétaux.

Portée par la vague jeune-verte, incarnation du jeunisme sympathique en politique, la thématique alarmiste de « l’urgence climatique » est devenue l’unique fondement du nouvel impératif catégorique de la morale politique. Elle rassemble ceux qui « pensent bien » et savent ce qui est vrai. L’écologisme salvateur et rédempteur, néoreligion ou nouvelle gnose, oscille entre le statut d’une pseudo-politique et celui d’une doctrine postpolitique sur la scène du grand spectacle planétaire. Quant à l’antipopulisme, il fonctionne comme un substitut de pensée politique à l’âge de l’impolitique, celui du triomphe de la communication, des fausses nouvelles, des postures trompeuses et de l’esprit complotiste. Il donne, à tous ceux qui ont peur de perdre quelque chose, l’illusion réconfortante d’être du côté du Bien et du Vrai.

La séduction du catastrophisme tient à ce qu’il est irréfutable [en 2100 ce sera l’enfer ! Croyez ou brûlez !] et fortement mobilisateur mais aussi au fait que les politiques qu’il est susceptible d’inspirer ne sont jamais sanctionnées. Voilà qui garantit un confort intellectuel permanent aux illuminés qui jubilent d’attendre la fin du monde en dénonçant les coupables présumés du crime suprême, le crime contre « le climat » et « le vivant ». Les antipopulistes vertueux, quant à eux, trouvent leur bonheur quotidien d’accuser les assassins potentiels de « la démocratie » ou, en France, tradition oblige, de « la République ». La nouvelle union de la gauche se forge autour du grand récit d’effondrement et de rédemption offert par les écologistes, tandis que l’union de la droite et de la gauche pulvérisées se fait sur la base d’un programme antipopuliste commun. De pieux adeptes d’une néoreligion de salut d’un côté, des soldats idéologiques défendant tant bien que mal un faisceau de partis assiégés de l’autre.

Oublié le « crime contre l’humanité ». Il n’y a plus que deux grands crimes : le crime contre « la démocratie » et le crime contre « la planète ». Le catastrophisme sécrète le manichéisme comme le foie sécrète la bile. Il enferme les esprits dans les abstractions et les formules creuses. C’est la vengeance ironique du Polemos : les doctrines de combat ont pris la couleur du Bien. Reste le piètre horizon vertuiste du « vivre ensemble », notre dernier opium pour tous, soit l’idéal confus de la coexistence paisible et heureuse du lion et de la gazelle, du loup et de l’agneau, des humains et des autres vivants — tous dotés d’une « dignité » intrinsèque —, auquel s’ajoutent les synthèses fantasmées de l’écologisme et du progressisme, ou les noces sacrées du laïcisme et du multiculturalisme au nom du « respect », vertu synthétique résiduelle. La recherche du « bien-être » de chaque vivant comme seule règle d’action. L’idéal bourgeois projeté sur tout ce qui vit, mais socialisé et étatisé. Et l’État-providence planétaire pour horizon désirable. On nous enjoint de nous engager d’urgence dans les deux bons camps, sous peine de devenir des réincarnations du « salaud » sartrien. Il est permis de trouver irrespirable l’atmosphère dégagée par l’activisme frénétique des boy-scouts au service de « la planète » et de « la démocratie ». Et aussi d’aspirer à une pause, propice à la réflexion.

Liens connexes

Spiritualité autochtone, écologie et norme universelle moderne

Hystérie climatique : « la science est davantage en danger que la planète » selon Richard Lindzen du MIT

Multiculturalisme, « hybridation », « métissage culturel », une nouvelle illusion théorique dans les sciences sociales

Un Québec de plus en plus divers, est-ce vraiment une bonne chose ?

Aucun commentaire: